#BP « Mais pourquoi le foot rend-il fou ? » par Clément S, alias ClemTlse

Nous vous proposons depuis plusieurs mois d’être un « Blogueur Parisien » (lire ici), Clément S, alias ClemTlse nous propose un nouveau billet.

[Celui-ci, comme tous les autres, de tous les blogueurs, n’engage que son auteur. Canal Supporters ne relaie pas, ne valide pas, ne censure pas, il propose un point de vue de supporter, son analyse, sa grille de lecture, vous disposez, analysez, jugez. Pour que vive le débat. Bonne lecture.]

Mais pourquoi le foot rend-il fou ?

Ce n’est pas aux lecteurs de CS que je vais apprendre que le foot rend fou. Des pro/anti Blanc aux pro/anti Emery, en passant par les pro/anti Riolo ou les anti Praud (je ne connais pas de pro Praud), les arguments les plus réfléchis aux plus irrationnels sont exprimés ici, le plus souvent de manière ultra passionnelle.

Mais oublions CS un instant, et demandons-nous pourquoi le foot est-il le sport le plus populaire au monde, et pourquoi déchaîne-t-il autant les passions ?

La flamme du soldat inconnu sous l’Arc de triomphe ne s’est éteinte qu’une fois, après que des supporters mexicains éméchés s’étaient « libérés » sur elle, lors de la Coupe du monde 1998. En 1967, lors de la guerre civile au Nigéria, un cessez-le-feu de 48h fut décrété afin que les différentes factions puissent voir jouer le roi Pelé. De même, lors du Noël 1914, des officiers allemands et anglais profitèrent d’une pause dans les combats pour se « battre » plus pacifiquement, lors d’un match de foot. Le taux de naissance en Allemagne fit un bon de 30%, 9 mois après la Coupe du monde 2006. Et bien plus tristement, le Colombien Andres Escobar fut assassiné après la Coupe du monde 1994, lors de laquelle il marqua un but contre son camp (j’y étais !), le meurtrier criant « gol » après chacun de ses coups de feu. Même sans citer les audiences énormes (stades et TV) des grandes compétitions ou les ambiances extraordinaires lors de certains matchs (malheureusement, de plus en plus rares en Europe) et les excès horribles auxquels ils conduisent parfois, ces quelques faits divers nous rappellent à quel point le football peut attiser les passions.

Dans les quelques lignes qui suivent, je tente d’apporter quelques éléments de réponse à ma question-titre, certains paraissant sans doute des lieux communs, d’autres me semblant plus personnels. Et tout cela, je l’espère, avec une certaine légèreté (?).

Le foot : partout et par tous !

En premier lieu, la popularité du football, jeu ancestral, est sans doute liée à la simplicité de ses règles, à son déroulement sans presque aucunes interruptions, et au fait que sa pratique ne nécessite presque rien : de 2 à 22 joueurs (voir bien plus !), un ballon (même en papier recouvert de scotch, comme dans mon collège ou Thierry Henry ira plus tard), un vague terrain (ou un terrain vague), et quelques t-shirts pour délimiter les buts. De plus, tous les physiques peuvent s’y épanouir, d’un Insigne (1,63m) à l’espoir Lacina Traoré (2,03m), en passant par un Messi (1,69m), un Ronaldo (1,85m), ou un Ibra (1,95m). Entre la boule de muscles (Aurier) et un joueur au physique anodin (Iniesta), le vainqueur d’un duel ne sera pas forcément le premier cité ! Ces différents facteurs font que nous avons tous pratiqué le football à notre niveau, avons tous accompli des « exploits » (petits-ponts, arrêts miracles…), et estimons donc tous que nous en avons une assez bonne compréhension (vraisemblablement, à tort) pour juger des conneries tactiques de Blanc ou Emery, de la maladresse de Cavani, ou de la bêtise de Lucas. La popularité de ce sport se traduit aussi par une présence sans partage dans les médias d’une majorité de pays dans le monde, avec des journalistes et autres consultants aussi passionnés, irrationnels, et de mauvaise foi que les supporters, et qui attisent, en réaction, la folie de ces derniers.

Un sport collectif et individuel

Le football présente le compromis parfait entre un sport collectif et individuel, alors que, par exemple le rugby penche plus du côté collectif, et le basket, du côté individuel. Pour rendre fou, un sport doit, outre sa pratique maximale au sein de la population, encourager le fan à s’identifier à un groupe, tout en l’invitant à révérer des stars. Ce qui fait une très bonne équipe de foot est alors un savant mélange (et de nombreuses équipes nous ont montré des recettes aussi variées que réussies ou ratées) entre force collective, talents individuels, habileté technique, et puissance physique et/ou mentale.

Le but : un orgasme (que l’on n’atteint pas toujours) !

Après ces quelques lieux communs, pénétrons dans le fond de mon argument. Le football ne permet pas un instant de déconcentration à ses fans. Je vais aux toilettes : but. J’écris un post sur CS : but. J’explique la règle du hors-jeu pour la 42ième fois à ma copine : but ! Le (télé)spectateur assiste pourtant à un match de football sans savoir si le Graal, l’orgasme, le but, sera atteint. Ainsi, le football est le sport majeur où la proportion de matches nuls est la plus importante (de 25 à 30% selon l’époque et la ligue), dont le célèbre 0-0, qu’il soit une purge totale ou un match de légende. Le match nul est souvent plus frustrant pour les deux équipes et leurs supporters qu’une défaite sans appel. Mais quand l’adversaire score, c’est une catastrophe, car rien ne garantit que notre équipe en fera de même, à moins que tout cela ne se termine par un 4-3 ! Vous me direz, c’est presque pareil au hockey sur glace, mais je vous répondrai que tout le monde s’en fout. Au basket, l’équipe adverse marque un panier : so what ? Un but au handball : so what ? Un point au volley ou au tennis de table (deux sports avec plus de licenciés que le football, grâce à la Chine) : on s’en contrefout grave. Le but du 1-0 à la 92ième minutes pour le PSG : orgasme ! Enfin, l’incertitude du résultat en football (qui peut battre une équipe des USA au complet, au basket ? Le 10ième mondial n’a jamais battu les Blacks en rugby…) conduit à des matches parfois perdus par la meilleure équipe, sur le papier (PSG-Manchester), et/ou sur le terrain (Madrid-PSG). Cette relative indécision et la rareté du but apportent ainsi une charge émotionnelle unique au football.

Le sport le plus tactique

Du moins en apparence, le football a une dimension tactique bien supérieure aux autres sports qui n’échappe (même) pas à l’amateur du dimanche. Au football de possession ou de contre-attaque, au 443 « de Blanc », au 4231 « d’Emery », en passant par le 4321 ou le 442 « d’Ancelotti », il faudrait ajouter les multiples options tactiques « évidentes », en losange ou à plat, envisagées par les 65 millions d’entraîneurs et sélectionneurs que compte la France (je ne vous dis pas dans le reste du monde). Cette habilité-illusion, largement exprimée sur CS (!), que nous pensons avoir de réaliser bien des choses mieux que l’entraîneur en place est poussée à l’extrême en football. De plus, l’illusion qui veut que ce même entraîneur ait tous les éléments pour contrôler le destin de son équipe, en fait le parfait bouc émissaire, quand ça va mal, et rarement le responsable, quand ça va bien (« ma grand-mère en aurait fait autant »). A moins que nous soyons tous fous… et que le football ne soit plus simple tactiquement que prévu, mais plus compliqué sur un aspect que je développe en guise de conclusion.

Le sport le plus psychologique

En premier lieu, le football est d’assez loin, le sport majeur où l’avantage de jouer à domicile est le plus important : en gros, depuis 50 ans, dans les 5 ligues majeures, un match se conclut par une victoire à domicile dans un peu moins de 50% des cas, et par un nul ou une victoire à l’extérieur, chacun dans environ 25% des cas. Du fait de cette forte probabilité d’un match nul, le différentiel entre probabilité de victoire et défaite à domicile est bien supérieur à ce qui est constaté dans les quatre sports majeurs aux US. Le basket US y présente l’effet le plus prononcé, et pourtant, une équipe de NBA ne gagnerait en moyenne que 10% de matches en plus en jouant toujours à domicile. Il est donc clair que l’impact potentiel du public est crucial en football, ce qui amplifie son impression de pouvoir affecter le déroulement du match, et donc son implication (bon, parfois on se demande…).

De plus, des études scientifiques ont montré qu’un enchaînement de défaites ou de victoires au football à un impact clair sur les prochains matchs, alors que votre serviteur et l’un de ses collègues de Boston (fan des Red Sox) ont montré, entre autres, que cet effet était essentiellement nul pour le base-ball US.

De façon moins objective, cette dynamique de confiance se constate aussi au niveau individuel (n’est-ce pas Cavani ?), au-delà de l’état de forme physique qui est bien sûr aussi lié aux oscillations de performance d’un joueur. Enfin, dans le déroulement d’un match, on observe des retournements de situation incroyables qui sont le résultat d’un effondrement psychologique d’une équipe (n’est-ce pas Milan ?) et/ou du réveil psychologique de l’autre (n’est-ce pas Liverpool ?).

Cet aspect psychologique colossal qui entoure le football contribue certainement à amplifier l’irrationalité des fans, perdus ou exaltés devant le comportement lamentable (PSG de ce samedi 3 décembre) ou fantastique (Montpellier) de leur équipe. Les fans tenteront ainsi d’expliquer contreperformances et exploits par des considérations tactico-techniques souvent abusives, mais aussi par des analyses d’ordre psychologique : « Silva est une pleureuse », « Ibra est fort avec les faibles, faible avec les forts », « Blanc est une fiotte », « Emery est un maniaque romantique »…

En conclusion, si vous n’êtes pas d’accord avec moi, vous êtes tout simplement fous. Et d’ailleurs, je m’en fous puisque je suis moi-même fou.

Clément S. de Toulouse, alias ClemTlse

PS : un peu de pub ! Si l’étude scientifique des sports et des phénomènes collectifs vous intéressent, allez faire un tour sur cette page qui parle notamment de poker et de baseball, ou sur ma page de vulgarisation (théorie des jeux, physique de la société…).

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