Sur les traces de Moulaye Thiam, victime de la jungle du football

(Avec l’aimable participation de monsieur Moulaye Thiam)

C’est en mars 1983 au Sénégal que voit le jour Moulaye Thiam. Si ce nom n’est pas connu de tous les supporters parisiens, c’est parce que ce talentueux milieu offensif n’a évolué qu’un an au sein de la formation parisienne. Non, si son nom résonne dans la tête des afficionados du ballon rond, c’est surtout pour son histoire, son parcours tragique.

« Je n’ai jamais trouvé Selim Benachour bon »

Début des années 90, c’est dans le XIIème arrondissement de Paris que Moulaye pose ses valises. Sa maman le voit pilote d’avion et le fait venir en France afin qu’il puisse étudier. « Le foot, j’ai commencé dès mon arrivée en France. Le professeur d’EPS m’a vu jouer avec les camarades de classe et m’a conseillé de m’inscrire au sein du club de l’école. J’ai commencé là-bas. Après un entrainement il m’a conseillé d’aller dans un vrai club. J’ai donc commencé à Châtenay-Malabry avec Hatem Ben Arfa. Je me rappelle de lui, il venait me voir en bas de chez moi et me demandait de l’emmener à Rennes quand j’ai rejoint le club breton. Au club francilien, on croisait souvent Hatem qui jouait avec nous. Il était déjà technique mais tout petit. Des très bons souvenirs, le destin a fait qu’on était du même quartier. Je suis ensuite allé a Fontenay-Aux-Roses. »

Moulaye, tout à droite lors du tournoi international pupilles à Nantes

Des fois, la vie ne tient qu’à un fil. Il en est de même pour la carrière sportive. Pour certain(e)s, toutes les étoiles sont alignées. Pour d’autres, tout ne ressemble qu’a un long périple sans fin. Si, pour ces derniers, la raison est à voir du côté du manque de talent, pour d’autres parfois, les raisons sont plus nébuleuses. Manque de chance, entourage néfaste, choix compliqués. Sûrement un peu des trois concernant Moulaye Thiam. Passé par le centre de formation du PSG en 1995, Moulaye est rapidement surclassé en équipe de jeunes, et ce dès ses 13 ans. « Nambatingue Toko m’a repéré à l’US Voltaire. J’ai fait un essai au PSG, ce fut concluant. » Aux côtés de Mounir Obbadi, Houssine Kharja, Selim Benachour (ou encore Jean-Michel Badiane), Moulaye travaille son apprentissage. « Quand je suis arrivé au PSG, on a fait l’entrainement le premier jour. J’ai entendu les parents ne parler que de Selim Benachour. Mais un père présent à dit « les parents de Selim tremblent, il y a Moulaye. » Je me souviens, le père d’un joueur m’a même proposé de me donner 50 francs à chaque but que j’inscrirais, ainsi qu’un sandwich et un coca. J’ai trop marqué alors il a arrêté (rires). Avec ces sous j’achetais des gâteaux à tous mes amis. » Jean-Michel Badiane s’en souvient d’ailleurs très bien puisqu’il raconte, sur le plateau de l’émission Le Vestiaire, cette anecdote très représentative du niveau de Moulaye : « Au coup d’envoi de la seconde mi-temps d’un match des U13 que ces derniers perdaient 1-0, Moulaye dribble toute l’équipe. Il dribble des bouchers. Il marque. Il y a eu un silence général de la part des supporters. » Et les intérêts de différents clubs français commencent à faire leur apparition. A Lille, en même temps qu’un certain Franck Ribéry, Moulaye effectue son premier essai. « Ma mère ne voulait pas que je joue au foot. Au PSG, ils ne me voyaient pas arriver à l’heure tout le temps, mais ils ne savaient pas la galère que c’était pour moi (sic), ma mère ne voulait pas que j’y aille. C’est le PSG qui m’a financé la carte orange. Ma mère m’enfermait à la maison pour pas que je ne parte. L’entraîneur appelait sur le téléphone fixe et je lui disais que j’étais enfermé. Du coup les entraîneurs conservaient mes affaires, les lavaient et me les donnait les jours de match. Pour être à l’heure aux matches, les parents de Selim m’accueillaient chez eux pour que je puisse jouer. » Des souvenirs, beaucoup, partagés avec le jeune Benachour qui, pourtant, n’a rapidement plus donné de nouvelles : « Certains ont des nouveaux amis avec la réussite. De toute façon, honnêtement, j e n’ai jamais trouvé Selim bon. Techniquement il faisait des choses, mais il y avait de meilleurs joueurs dans l’équipe. Je trouvais Obbaddi bien meilleur par exemple. »

« Franck Ribéry me collait tout le temps »

2ème en bas en partant de la gauche à l’US Voltaire

Le nom de Moulaye commence à circuler et le jeune joueur va donc faire un essai à Lille, aux côtés de Franck Ribéry. « Au tournoi de Béziers, je marque d’un coup du foulard en finale face à Dortmund. Je dansais au poteau de corner, c’est moi qui fait gagner le trophée à Lille. Ribery me collait tout le temps lors du test : « Comment tu fais? Comment tu fais? » (rires).  C’est alors que, avant même de recevoir la réponse des Dogues, l’agent de Didier Drogba se déplace en personne sur Paris pour toquer à la porte de la famille du jeune Moulaye pour l’amener à Rennes. « Il a entendu parler de moi à un tournoi, celui de Béziers justement, où j’étais décisif très souvent. » Quand l’agent dit à sa mère qu’il pourrait être vendu après sa formation rennaise, elle prend Moulaye à part, lui tire l’oreille et lui dit : « dis lui que moi je ne vends pas mes enfants, l’esclavage c’est fini . » Un chèque accompagnant les promesses de l’agent (donné une fois à Rennes), l’entourage du milieu offensif accepte et rejoint la Bretagne à seulement 11 ans et demi. « Gérard Lefillatre, le manager général de Rennes, m’attendait d’ailleurs à la gare Montparnasse. »

« A Rennes, je voulais que le club donne 20.000 francs à ma famille »

Moulaye Thiam, rangée du bas tout à gauche
Moulaye, 2ème en bas en partant de gauche. A sa droite Trésor Luntala, international zaïrois de Birmingham et Guingamp. En haut vers la droite, Moussa Dabo, frère d’Ousmane.

A Rennes, chez les jeunes, Moulaye Thiam continue de progresser et les clubs commencent de plus en plus à s’intéresser à lui. Ils franchit les paliers et fait ses gammes chez les moins de 15, puis les U17. Jusqu’à, parfois, jouer contre la réserve du Stade Rennais, composée par moment de Jean-Claude Darcheville ou encore Sylvain Wiltord. « J’étais super content d’être en centre de formation. Plus d’enfermements avant les matches. Quand je suis arrivé au centre,  le premier à me dire bonjour c’est Makhtar Ndiaye, qui participera à la Coupe du Monde 2002 avec le Sénégal. Si j’ai voulu rester à Rennes, c’est grâce aux Sénégalais. Il y avait une sorte de communauté. L’ambiance a fait que j’ai voulu y rester. » Et tout va très vite pour Moulaye, qui continue d’être surclassé. « J’arrive, Landry Chauvin me dit que je vais m’entraîner avec les U17 alors que je n’avais que 12 ans. J’étais petit, maigre. Pourtant, c’était terrible et dans le bon sens du terme. Cela m’arrive encore d’être choqué de ce que je faisais, cela m’a fait énormément plaisir. Même si je n’ai pas fait la carrière espérée, j’ai l’impression d’avoir gagné la coupe d’Europe. Je suis fier de moi. Ma mère ne savait rien de tout ça. On parlait de moi dans Ouest-France, on me comparait à Maradona et à Scifo. » Pourtant, la présence de Moulaye Thiam ne plaît pas à tout le monde, et certains de ses coéquipiers ont tenté à plusieurs reprises de stopper le jeune milieu dans son élan : « Quand je faisais les confrontations, j’étais le plus jeune de tous. Je me souviens, Saliou Lassisi (international ivoirien qui a ensuite évolué en Serie A, ndlr) arrive derrière moi et je lui met un petit pont. Après l’entrainement, il m’a menacé en m’intimant l’ordre de ne plus l’humilier sinon j’allais avoir des représailles. Jérôme Le Bouc (ancien joueur de Laval, ndlr) était très jaloux de moi. Il me lançait beaucoup de regards noirs. Sylvain Wiltord lui me regardait dans les yeux et était impressionné. Tous les pros me connaissaient, ils m’appréciaient. » Le manager général lui donne de l’argent, pas aux autres. Cela attire la jalousie. « Il m’avait appelé dans son bureau, il a allumé la TV et m’a montré un reportage sur Wiltord et m’avait promis que je le remplacerais. » Au club, le jeune prodige est choyé, protégé. « Tcherno Seydi, l’agent de Drogba, s’était engagé à s’occuper de moi. Je n’étais au courant de rien, j’étais jeune. Mais une fois mon arrivée à Rennes, je voulais que le club donne 20 000 francs à ma famille. On m’avait conseillé de négocier car Rennes avait fait ça pour un autre jeune dont la famille avait reçu du liquide du club. Pourtant, au début, je ne pouvais pas jouer car Michel Denisot (alors président du PSG, ndlr) refusait de donner ma lettre de sortie à Rennes pour me retenir. Je faisais partie d’une liste de joueurs représentant l’avenir du PSG. Même Georges Weah venait me caresser la tête. » Son nom commence à filtrer outre-Hexagone et, au moment où les carrières se font, celle de Moulaye prendra un détour malheureux.

Une pubalgie synonyme de rêve brisé

Pourtant, comme souvent, le poison est emballé avec un joli ruban. Un ruban aux couleurs vert et blanc, les couleurs du Sporting Portugal. Et bien souvent, avant de blâmer le poison, il faut s’en prendre à celui qui vous l’offre. Pour Moulaye, ce donateur s’appelle Luis Norton de Matos. Ce dernier, agent de joueurs, contacte la famille Thiam pour lui faire part du projet Sporting. Un contrat professionnel de 3 ans lui est proposé tandis que le Stade Rennais ne lui propose « que » le parcours classique, à savoir sur 4 ans tout en passant les échelons « stagiaire » et « aspirant pro ». Comme pour beaucoup de jeunes joueurs, l’appât du gain sera trop fort. « C’était mon rêve d’être professionnel. Je voulais être le meilleur joueur du monde. Rennes n’était pas content, ils ne l’ont pas digéré. Quand j’ai voulu revenir en France quelques années plus tard, des clubs me voulaient mais Rennes me mettait des bâtons dans les roues. Ils ont été déçus donc ont conseillé aux clubs de ne pas me prendre. Le football c’est la mafia. Quand je suis parti de Rennes pour le Sporting, peut-être que les deux clubs ont manigancé pour tuer ma carrière. J’ai l’impression que des gens ne voulaient pas que je perce.« 

C’est donc à l’âge de 16 ans que Moulaye s’envole pour le Portugal où un appartement lui est fourni et des entraînements avec les pros proposés. « Quand je suis arrivé aux vestiaires, les joueurs ont cru que je m’étais trompé. Ils me montraient du doigt le vestiaire des jeunes. Je ne parlais pas portugais, je ne comprenais pas. Les joueurs me regardaient, rigolaient. Je n’ai rien dit, je leur ai prouvé sur le terrain. » Mais à 16 ans, il est difficile physiquement de résister aux rudes entraînements professionnels. A force de pousser son corps jusqu’à ses limites, ce dernier craque. Et pour Moulaye, ce sont les adducteurs qui n’ont pas tenu. Une pubalgie synonyme de début de galère pour le milieu offensif. « C’était pendant la préparation physique, très lourde. Les pros étaient KO, moi je tenais le coup. Mais mon corps n’a pas tenu. Les adducteurs me faisaient mal, je faisais des petits pas en rentrant à la maison. J’en ai parlé au club, j’ai eu des aménagements. Quand ils ont vu que j’allais mal, ils ont commencé à m’injecter des piqûres sans me les proposer. Pour moi c’était normal, je n’avais jamais vu cela en France. Une seringue dans les fesses par semaine et je n’avais plus mal, j’étais boosté. Cela a aggravé ma douleur et détruit ma carrière. Mais les douleurs aujourd’hui ne sont pas que physiques, elles sont aussi mentales. Ma rage est devenue positive désormais. » Le Sporting n’a pas trouvé le moyen de le soigner et ne lui proposait que des piqûres pour faire, temporairement, oublier la douleur. Sans même faire attention aux dégâts que cela allait occasionner.

Du Sporting Portugal à Feirense, en passant par Porto

Soudain, sa carrière va de nouveau prendre un virage inattendu. Son agent lui fait signer un papier en portugais, lui expliquant qu’il va signer au FC Porto. On l’installe alors dans une voiture, puis dans un avion. On lui dit qu’un autre agent le récupérera une fois arrivé à destination mais qu’il doit faire croire qu’il arrive tout juste de France et non de Lisbonne. On lui dit qu’il ne doit surtout pas parler de son précédent club, et encore moins de son agent Luis Norton de Matos. Moulaye ne saisit pas tout mais le fait est qu’il intègre bel et bien le célèbre club. Cette fois, pas question de s’entraîner avec les pros, c’est avec les jeunes que Moulaye touche le ballon. Pourtant, rien n’est signé durant six mois. Le doute s’installe dans la tête de Moulaye qui demande à parler à la direction. Lors de cet entretien, il déballe tout. Son passage au Sporting, son entente avec Luis Norton de Matos. Moulaye rentre chez lui le soir-même, et c’est la dernière fois qu’il verra les installations du FC Porto. Dès le lendemain, on l’envoie à Feirense, alors en D2 portugaise. Aucune nouvelle de ses agents qui le laissent seul dans un appartement des plus rudimentaires. Sa blessure étant toujours présente, le club de D2 refuse de lui faire signer un contrat et Moulaye est donc contraint de rentrer chez lui, en France.

De retour sur ses terres d’adoption, Moulaye rejoint Thouars, alors en National, puis effectue une saison au sein de La Vitréenne de 2001 à 2002. Il rejoint ensuite Saint-Malo avant d’arrêter d’effleurer le cuir durant huit ans. Une éternité pour cet amoureux du ballon. Une carrière gâchée, avec deux protagonistes que Moulaye pointe du doigt : le Sporting et Luis Norton de Matos. C’est d’ailleurs à ceux-là que Moulaye réclame des indemnités à hauteur d’un million d’euros. D’un côté l’agent qui aurait récupéré tout l’argent du contrat. De l’autre, le club lisboète qui n’a pas su prendre soin de son joueur. Le Titi parisien réclame donc réparation, et ses reproches ne plaisent pas à tout le monde puisque le joueur aurait reçu des menaces de mort fin 2014 sur son téléphone.

Si son passé est gris, Moulaye fait tout pour éclaircir son avenir. S’il rejette l’éventualité d’être agent de joueur, le Sénégalais souhaite toutefois être en contact étroit avec les jeunes afin de leur prodiguer les conseils qu’il aurait surement aimé recevoir il y a quelques années. « Je veux conseiller les jeunes, je ne veux pas être un agent. Seulement les conseiller. Les suivre tout au long de leur carrière, sans contrat. Être un grand frère, bien les encadrer. Mon expérience que j’exploite ici c’est la France qui me l’a offerte, en particulier Rennes. Je dois tout à la France, je ne l’oublie pas. Je veux faire de la prévention auprès des jeunes et leurs familles. Il ne faut pas que l’entourage du joueur ne pense qu’à l’argent, comme beaucoup de parents le font. Les jeunes veulent jouer par passion, des fois ce ne sont pas que les agents qui gâchent une carrière, les parents le font aussi très bien. » Mais il n’y a pas qu’en France que Moulaye veut apporter son expérience :  « Je veux que les Sénégalais jouent au foot mais aillent aussi à l’école. Ils doivent  avoir des diplômes. » Et pour que son expérience heurte un peu plus l’esprit des jeunes, l’ancien milieu de terrain prospecte pour que son histoire soit retranscrite en film. Pour que tous sachent ce qu’il s’est passé, pour que tous sachent que le football n’est pas rose.

Moulaye Thiam, une aventure aux virages sinueux, aux détours malheureux. Une histoire qui vaut la peine d’être contée pour éviter qu’elle ne soit répétée.

Moulaye Thiam avec Thierry Goudet, ancien joueur de Rennes et du Havre puis entraîneur du HAC

Photo de couverture d’article : copyright Le Journal de Vitré

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