Focus #18 : Nambatingue Toko, le premier héros européen du PSG

Régulièrement, Canal Supporters vous propose de revenir sur la carrière d’un joueur passé par le PSG. Pour le 17ème numéro, nous avions retracé la carrière sportive de Jay-Jay Okocha, mais également les passages de sa vie qui ont fait l’homme qu’il est.

Aujourd’hui, focus sur Nambatingue Toko.

Le 21 août 1952, la chaleur semble plier l’air en plusieurs strates visibles. Et sous ce soleil de plomb, Nambatingue Tokomon Dieudonné pousse ses premiers cris. Dans les rues de la capitale tchadienne, N’Djamena, le jeune homme fera ses premiers pas, puis poussera ses premiers ballons avant d’inscrire ses premiers buts. Nambatingue, un prénom qui lui sied à ravir puisqu’il signifie « l’indomptable« . Personne ne domptera la bête tchadienne aux jambes élancées, pas même les rugueuses défenses françaises. Il apprend le football dans son pays natal dans différents petits clubs aux alentours de sa ville, mais c’est au sein du Yal-Tchad N’Djamena qu’il se fera remarquer pendant la saison 1973-1974 par les recruteurs de Grenoble. Nambatingue a 22 ans, il ne pouvait refuser une telle opportunité, celle d’intégrer un championnat où le football est meilleur et où les retombées sur sa vie personnelle seraient bien plus grandes. Il arrive donc dans l’Isère où un temps d’adaptation à son nouvel environnement est nécessaire. Nambatingue est arrivé en France, le premier Tchadien footballeur professionnel de France, et là débute son histoire d’amour avec ce pays. Qu’il lui rendra au centuple.

Sa première saison sera convaincante. Après six mois à Grenoble, Nambatingue débarque à l’US Albi qui évoluait, alors, dans le championnat français de troisième division. Là-bas, il montre de réelles qualités d’attaquant grâce à son physique impressionnant, dit « tentaculaire ». Ses longues jambes ratissaient le terrain, s’en servant pour récupérer de nombreux ballons tout en ayant une couverture de balle très dissuasive. Ses buts étaient, en plus, très souvent décisifs et spectaculaires. Albi finira la saison à la septième place du groupe Sud à six points de la réserve du SC Bastia. Une seule saison, une seule, et les clubs de l’élite posent déjà leurs yeux sur le Tchadien d’Albi, l’OGC Nice en particulier. Le club azuréen cherchait alors des joueurs offensifs susceptibles de remplacer Charly Loubet et Leif Eriksson, les deux sur le départ pour Cannes. L’opportunité était trop belle et Nambatingue accepte de rejoindre la Côte d’Azur où il apprendra beaucoup aux côtés de joueurs expérimentés tels que Vahidin Musemic, Marc Molitor, Jean-François Douis, Roger Jouve, Jean-Marc Guillou, Jean-Noël Huck, Dario Grava, Josip Katalinski. Mais également auprès de deux futurs Parisiens : Jean-Pierre Adams et Dominique Baratelli. L’entraîneur niçois, Vlatko Markovic, permet à douze reprises à Toko de fouler les pelouses de Division 1 qui inscrira quatre buts. L’OGCN terminera deuxième, à trois points de Saint-Etienne. Une belle saison en championnat, tandis que le club azuréen échoue en huitièmes de finale face au SC Bastia sur le score cumulé de 6-2 (2-2 et défaite 4-0). Une compétition où le Tchadien aura marqué un but en trois rencontres. De quoi le satisfaire, en attendant de bien plus jouer. Et son apogée azuréenne n’aura pas tardé. Suite aux départs de Molitor et Musemic, le natif de N’Djamena deviendra titulaire indiscutable sur le front de l’attaque niçoise aux côtés de Daniel Sanchez et de Nenad Bjekovic. Moins efficace que ce dernier, le Tchadien gardera toutefois la confiance des trois entraîneurs qui prendront place sur le banc des Aiglons durant la saison 1976-1977 (Vlatko Markovic, Jean-Marc Guillou et Léon Rossi). Pour sa première saison dans la peau d’un titulaire, il inscrira cinq buts en D1, quatre en coupe nationale et son tout premier but européen (en C3, face à l’Espanyol Barcelone). Soit 10 buts en 45 matchs toutes compétitions confondues, tandis que son compère néo-niçois Bjekovic terminera avec 33 buts en 41 rencontres. L’OGC Nice finira septième de D1, ratant de trois points une qualification européenne, et ira jusqu’en demi-finales de Coupe de France avant de perdre 3-1 (score cumulé) contre le Stade de Reims (deux défaites par 2-1 et 1-0). La saison suivante, Nambatingue sera tout de même l’un des pions essentiels des Aiglons malgré la lumière qui entoure Nenad Bjekovic, l’un des tous meilleurs buteurs serbes de l’histoire du championnat de France et futur entraîneur des Aiglons. L’OGC Nice terminera huitième et perdra en finale de la Coupe de France contre Nancy sur un but de Michel Platini. A Nice, le joueur est apprécié. Berlio, journaliste niçois, historien du Gym et éditorialiste du site  (Paninissa sur Twitter) se remémore pour Canal Supporters le passage de Toko sur la Côte d’Azur :

« A Nice, on l’appelait tous Toko. Parce qu’on n’arrivait pas à se souvenir de son nom à rallonge : Nambatingue Tokomon Dieudonné ! On aurait pu l’appeler Dieudo, ce sera Toko, de N’Djamena, comme il disait ! La première fois que je l’ai vu, j’étais gamin, pour le fameux match au sommet au Ray contre Saint-Etienne, le leader trois points devant Nice, le 11 mars 1976 pour la 26e journée ! A l’époque, Nice aligne l’équipe des Millionnaires de la Côte (Baratelli, Katalinski, Guillou, Huck, Jouve, Molitor, Musemic). Et Toko est tout jeune, 24 ans, et il est grand, très grand, 1,87 m, le plus imposant de l’équipe, plus que Jean-Pierre Adams, l’autre black du Gym qui ne joue pas ce match. Toko est l’attaquant le plus dangereux et rend les Verts fou de rage, il claque un but incroyable, un centre-tir qui lobe Curkovic (1-1) ! Toko aurait pu donner la gagne au Gym à la 88e d’une tête sur un centre de Huck, je la voyais au fond, sauf Lopez qui dévia le ballon de la main ! Tout le stade l’a vu sauf l’arbitre, un certain Robert Wurtz, qui refuse le penalty évident et prive Nice de la victoire et sûrement du titre de champion. Toko, habituel remplaçant, entrait ce jour-là dans le cœur des Niçois! Il fera ensuite deux grosses saisons titulaires au Gym avec le duo Sanchez et Bjekovic, l’une des plus belles attaques du Gym de tous les temps. Il claque une dizaine de buts en deux ans, mais surtout Toko c’était un attaquant moderne dans ces 70’s au jeu ultra classique. Il était athlétique, longiligne, percutant, efficace, au début un peu brouillon, puis il a vachement progressé. Toko te sortait des dribbles de l’au-delà, quand il partait comme une flèche sur son aile toute la tribune latérale se levait et gueulait « Toko, Toko, Toko ». Un peu comme Jules Bocandé, passé lui aussi par Nice et le PSG. Comme d’autres titulaires, Toko s’en ira après la finale de la coupe de France perdue en 1978 contre le Nancy de Platini (1-0) et gagnera des titres avec Strasbourg (avec Roger Jouve) et le PSG (avec Doumé Baratelli). A Nice, cette génération dorée des années 70 n’a jamais rien gagné… A Nice, on l’adorait, le grand black cool, qui se déplaçait en vélosolex toujours le bras levé pour faire coucou aux supporteurs, et le sourire aux lèvres. On l’a regretté… »

Nambatingue Toko sera resté 3 ans à Nice, aura participé à 99 matches et inscrit 26 buts. Décrié pour sa maladresse devant le but, il quittera Nice pour brièvement rallier Bordeaux, le temps de 9 matches (1 but) de juillet à septembre 1978, mais rejoindra rapidement le RC Strasbourg. Pendant cet été 1978, Toko décidera d’écouter les avances du nouveau président girondin Claude Bez qui voulait faire de Bordeaux l’une des meilleures du championnat de France de D1. Le recrutement est massif : Jacky Vergnes, Georges Van Straelen, André Tota, André Guesdon, Christian Delachet, Philippe Redon, Momcilo Vukotic et Luis Carniglia comme nouvel entraîneur. Mais Nambatingue Toko ne s’adaptera pas au système de jeu établi par Carniglia, l’amenant à demander à quitter le club aquitain au mois d’octobre 1978. Une simple saison à Strasbourg, 1978-1979, le temps de remporter son premier trophée en devenant Champion de France. Pourtant, l’entraîneur Gilbert Gress préférait jouer avec Albert Gemmrich, Joël Tanter, Roland Wagner et voire Francis Piasecki (autre ancien Parisien). Toko se contentera de jouer les utilités mais jouera tout de même vingt rencontres (deux buts toutes compétitions confondues). Toko, alors le seul joueur étranger du RC Strasbourg.

Une saison, c’est également le temps qu’il aura passé à Valenciennes où il sera flamboyant. Voulant retrouver une place de titulaire, Nambatingue décida de s’engager en faveur de Valenciennes afin de remplacer Roger Milla parti à Monaco. Avec douze buts en 35 rencontres de championnat, Toko trouvait enfin le club qui lui permettait d’accéder au statut mérité de buteur vedette. De toute sa carrière, ses meilleures statistiques sur un exercice furent à Valenciennes. Comme un symbole, une prémonition de son futur parisien, il inscrira un triplé face à l’Olympique de Marseille (victoire 3-6).

« Il n’y avait pas beaucoup d’argent. On faisait les déplacements en voitures particulières, en bus, en train, en métro… Mais il y avait une ambiance extraordinaire. VA a été un tremplin pour moi, pour aller au PSG. A Valenciennes, on était une équipe amateur qui jouait avec l’élite . » 

Les supporters valenciennois l’adorent et le supplient de rester, mais le Tchadien préfère rejoindre le PSG, son prochain amour. Le club pour lequel son cœur continuera de battre, encore aujourd’hui.

 « J’ai vécu une saison extraordinaire dans le Nord mais je ne peux refuser l’offre du PSG »

Durant l’été 1980, de nombreux clubs ont tapé à la porte du Tchadien, et c’est le PSG qui emporte la bataille. En arrivant à Paris, il joue aux côtés de Dominique Rocheteau et Sarr Boubacar, le trio inscrivant 37 des 62 buts du PSG (16 pour Rocheteau, 11 pour Boubacar et 10 pour Toko). La première saison parisienne de Nambatingue est honorable puisque le PSG terminera cinquième, à trois points d’une qualification européenne. Malgré diverses arrivées offensives, le Tchadien restera titulaire, sans être indiscutable. Et vint la finale de Coupe de France face à Saint-Etienne. En 1982, aux aux tirs aux buts, le PSG l’emporte aux dépens de l’AS Saint-Etienne sur une fin de match de folie et un but de Nambatingue.

Il entrera définitivement dans l’histoire du club, et dans le coeur des Parisiens, le 28 septembre 1982. Ce soir-là, le PSG dispute son premier match européen à domicile face au Lokomotiv Sofia et Toko en profitera pour briller. Après un match aller perdu 1-0 où les hommes de Georges Peyroche sont grandement bousculés, le match retour est diffusé en direct à la télévision (fait assez rare à une époque où certains considèrent encore que le petit écran vide les tribunes). Le président Francis Borelli s’oppose ainsi à son homologue bordelais Claude Bez. Le dirigeant girondins n’a de cesse de refuser que soient diffusés les matches européens des Girondins à domicile. Une option qui n’a pas favorisé la popularité de son équipe, pourtant très performante dans le paysage footballistique européen. Au Parc, Dominique Rocheteau et Mustapha Dahleb sont absents et le trio Toko-Kist-N’Gom est aligné. Le PSG refait rapidement son retard. Dominique Bathenay déborde et centre pour Toko qui, complètement seul, n’a plus qu’à pousser le ballon dans la cage. Le premier but européen du PSG. Marko Bogdanov arrive tout de même, à l’étonnement général, à égaliser d’une frappe de loin qui touche le haut du poteau et entre dans la cage de Dominique Baratelli. Mais le capitaine Dominique Bathenay sait y faire et, à l’heure de jeu et d’une frappe lointaine, trouve la lucarne. Ne reste que dix minutes et le PSG obtient un corner pas très bien tiré par Pascal Zaremba. Luis Fernandez, contré, reprend de la tête. Jean Claude Lemoult récupère et transmet à Zaremba qui centre au niveau du point de penalty. Nambatingue Toko est seul, sa reprise de volée est sublime. Le cuir trouve le fond des filets et Osvaldo Ardiles va l’embrasser, dans la cage, ce fameux ballon. Le score final : 5-1. Le PSG se qualifie, et tout Paris félicite Nambatingue Toko. Tout Paris aime Nambatingue Toko. Sur le banc de touche, le reporter TV d’Antenne 2 Georges Dominique tend son micro au Tchadien Toko qui lui répond une petite phrase devenu légendaire. Avec son accent si caractéristique, Nambatingue, à la question de savoir si son but est le plus beau de sa carrière, répond laconiquement : «Mais non ! Vous me connaissez, j’en ai marqué des plus beaux buts que ça quand même! » ».

La saison 1983-1984 sera plus délicate. Suite à une blessure, le Tchadien ne jouera que onze matchs en championnat (sans inscrire le moindre but). Des tribunes, il verra ses coéquipiers atteindre les huitièmes de finale de la Coupe des Coupes qu’ils perdront à cause de la règle des buts inscrits à l’extérieur contre la Juventus de Turin, futur vainqueur de l’épreuve, après un 2-2 score cumulé ( 2-2 au Parc des Princes et 0-0 en Italie). La saison suivante, Nambatingue Toko redevient titulaire et participe à 39 matchs toutes compétitions confondues tout en marquant neuf buts. Il jouera les trois derniers matchs européens de sa carrière cette saison-là, en disputant la coupe UEFA où son équipe n’ira pas plus loin que le second tour après la triste défaite 5-2 (score cumulé) contre Videoton, futur finaliste.

Des buts magnifiques, il en marqua d’autres. Des symboliques, aussi. Il a inscrit un but lors des deux finales de Coupe de France remportées par le PSG. D’abord en 1982 contre Saint-Étienne, le premier titre parisien, où il ouvre le score. Puis en 1983 contre Nantes, le but victorieux. En tout, il marquera 43 buts en 171 matches, avant de brièvement rejoindre le RC Paris de 1985 à 1986 avec qui il deviendra Champion de France de D2, jamais bien loin de son écrin préféré : le Parc des Princes.

Contacté par nos soins, Stéphane Bitton nous livre son avis sur un joueur dont les qualités physiques ont impressionné le journaliste : « Je l’ai vu jouer toute sa période parisienne. Un grand garçon athlétique, très solide physiquement. Il recevait beaucoup de coups mais ne tombait jamais. Un fin buteur, un Trezeguet à l’ancienne. Quand il y avait un beau but à marquer, un petit geste, un crochet ç faire, il le faisait. Au PSG, il jouait surtout ailier droit, dans une attaque composée de Saar Boubacar et de Dominique Rocheteau. Des bons manieurs de ballon. Nambatingue Toko, en tant qu’homme, était un peu bourru mais sympa. »

Trois ans après la fin de sa carrière, appelé par Francis Borelli, Nambatingue Toko fait partie du staff jusqu’en décembre 1998 et l’arrivée du président Perpère. De 1989 à 1990, l’international tchadien (les chiffres sur son nombre de sélection est encore très flou) sera superviseur dans les pays du Nord. Titulaire du diplôme BE2, il entraînera les jeunes du PSG, puis sera l’adjoint du coach de l’équipe de troisième division du club parisien ainsi que de celle de D1 entraînée par Luis Fernandez. Après le premier départ de ce dernier, le Tchadien redevient recruteur jusqu’en 1998. Il devient ensuite manager de jeunes afin de dénicher des talents tchadiens. Aujourd’hui, Nambatingue Toko jouit d’une retraire méritée en Italie, en compagnie de sa famille. Mais il n’oubliera jamais le PSG son club.

« C’est mon club de cœurj’ai commencé à Nice avant de rejoindre d’autres clubs, mais quand les gens m’arrêtent dans la rue, c’est pour me parler du Paris Saint-Germain. J’adore la ville de Paris, j’y ai passé mes plus belles années. C’est devenu beaucoup plus professionnel, à l’époque, c’était un peu plus amateur. Je suis très heureux de ce qui arrive au club, il ré-hausse le niveau du football français. Je suis heureux de voir ce qu’est devenu le Paris Saint-Germain. »

Les précédents « focus » sur les anciens Parisiens
Focus #13 Carlos Bianchi, le grand buteur esthète du PSG
Focus #14 Mustapha Dahleb, le Fennec qui a conquis la capitale
Focus#15 Safet Susic, quand le Pape fait briller le PSG
Focus #16 Raí, le Cap’tain du siècle
Focus #17 Jay-Jay Okocha, l’aigle qui a déployé ses ailes au PSG

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